Histoire du domaine

Les Origines (avant le XIIe siècle) 

Le Sauvage, grand domaine isolé de moyenne montagne, sur un versant de la Margeride, en plein Gévaudan tire son nom de sa situation géographique?: «?Silvaticum?», de «?silva?», «?La forêt ?», signifie un domaine forestier, ce qu’il est resté des origines jusqu’à nos jours. Sis en confins de paroisses, à l’écart des centres habités anciens en confins de la grande forêt de la Margeride qui a donné son nom au massif montagneux. 

Ce nom remonte au milieu du Moyen-Age?: Les sources l’attestent au début du XIIIe siècle, il est certainement antérieur d’un siècle ou deux. Le Sauvage n’est donc pas un site occupé très anciennement, certainement à cause de l’altitude et de l’isolement : mais sans doute était-il fréquenté à la belle saison par les chasseurs et les pâtres en quête d’herbage. Un terroir compris dans le domaine «?Chaudeyrac?», porte un toponyme gallo-romain qui atteste  d’une occupation temporaire à l’époque antique assez continue pour que le nom soit demeuré. Une fraction de terroir semble avoir porté anciennement un autre nom, celui de «?Ripagenos?», difficile à interpréter, peut-être un «?Ripagenulfi?», la rivière d’un dénommé «?Genulf?» ce qui renvoie aux dirigeants portant des noms germaniques. Donc à partir du VIe siècle jusqu’à la fin de l’époque carolingienne ; après quoi ce nom ne désigne plus un lieu habité, «?Ripagenos?» cesse donc d’accueillir des hommes de façon permanente. Le Sauvage prend la relève. 

 Vers l’an mil, à cause de l’embellie climatique et de la croissance générale de la démographie, l’homme a occupé beaucoup de tels sites inhabités «?sauvages?»?;c’est alors ou à peu près que la forêt du Sauvage a été en partie défrichée, qu’un établissement  fixe a été installé, comme sur beaucoup de sites en hauteur de la région de Saugues, par exemple Montchauvet, château et village du versant de la Margeride fouillé depuis plusieurs décennies et de ce fait bien connu. Tous ces établissements ont perduré quelques siècles, parfois seulement jusqu’à la détérioration climatique et la chute démographique du milieu du XIVe siècle, comme Montchauvet, parfois plus longtemps. Grâce à son étendue, le sauvage a résisté à cette mauvaise période et à d’autres qui ont suivi. Le domaine s’est perpétué siècle après siècle jusqu’à nos jours avec une impressionnante continuité, et aussi un certain nombre de rupture et de changement de cap. 

 A qui et due cette conquête agricole?? Selon toute vraisemblance, aux ancêtres anonymes des propriétaires du début du XIIIe siècle, de grands seigneurs locaux capables d’encadrer les hommes, de réunir les capitaux, de disposer en toute propriété de terres abondantes. Sous leurs directions, des agriculteurs disponibles ayant faim de terre, sachant s’adapter aux contraintes de ces territoires limités. À ces périodes de tels établissements visent certainement d’abord à produire des céréales pour l’autoconsommation des résidents, donc des céréales adaptées à l’altitude élevée et à la pauvreté des sols granitiques?: probablement du seigle?; l’élevage ovin, porcin, bovin, ne peut venir qu’en complément et de façon modeste. «?Le Sauvage?» reste forestier, mais son centre est une clairière de campagne ordinaire, autant que le terroir le permet. 

 Sur la route de st Jacques aux mains de l’hôtel Dieu du Puy 

Bien que les sources soient discutées sur ce point, vers le XIIe siècle, au moins l’horizon s’élargit. Une voie de passage au long cours se situe à proximité immédiate du Sauvage, en ménageant une trouée dans les forêts du domaine. C’est que la crête de la Margeride accueille un col, modeste, qui facilite le franchissement de la chaîne. La route est à cette époque considérée comme voie publique, ce qui est encore vrai au XVIe siècle et ne sera plus le cas à la fin de l’ancien régime. Ce lieu privilégié se situe sur un itinéraire devenu important par suite de circonstances lointaines. En effet, la géographie fait passer par là les voyageurs au long cours qui cherchent à traverser le Massif Central selon un axe nord-est/sud-est, principalement les pèlerins de St Jacques de Compostelle en provenance d’Europe «?roumieux?», de pèlerins. Le phénomène que représente ce pèlerinage est bien connu (voir «?el camino?»). De nombreux itinéraires drainent les marcheurs depuis les sanctuaires majeurs de leurs provinces d’origine jusqu’au franchissement des Pyrénées et l’Espagne. Au XIIe siècle, on nomme ce chemin Via Podiensis , il ne commence pas au Puy en Velay, mais bien plus à l’est, il encadre les populations de la Suisse actuelle, de l’Allemagne du Sud, de la Hongrie, de toute l’Europe centrale jusqu’aux marches du monde orthodoxe. Ce sont elles que les que le chemin amène jusqu’aux alentours du Sauvage pour un franchissement de col sans difficulté particulière, néanmoins rude si les conditions climatiques sont mauvaises. Les pouvoirs publics s’émeuvent, l’évêque de Mende, compétent sur le canton du Gévaudan, établit sur le col, en limite du domaine, un gîte et un lieu de culte, l’Hospitalet, encore existant. Mais par qui faire occuper les lieux, assurer le service divin, accueillir et nourrir les voyageurs pauvres?? Il convient de faire appel à des «?professionnels?» existants, intéressés à ouvrir une petite succursale. L’évêque s’adresse à l’Hôtel-Dieu, dédié à la vierge que les chanoines de Notre Dame Du Puy ont établis à proximité de leur cathédrale, justement pour le service des pèlerins pauvres et malades?; le prélat leur fait donation le 3 mai 1217 de la maison de «?Riuagenos qui est dans notre diocèse sur la voie publique près de la foret de Margeride?», par un acte en parchemin, scellé de son sceau , conservé aujourd’hui en original dans les archives de l’hôpital. Les membres de l’hôpital dédieront à St Jacques la chapelle de ce petit hôpital et l’entretiendront… Un certain temps, les documents ne permettent pas de savoir jusqu’à quelle date, mais l’établissement avait perdu toute importance avant la fin du moyen âge, le pèlerinage lui-même ayant vu sa fréquentation décroitre. 

Le seigneur de Sauvage n’a nullement participé à la fondation de l’Hospitalet , mais en 1222, il fait donation de son domaine à l’Hôtel-Dieu du Puy en Velay, avec approbation épiscopale. «?Donation?», c’est le terme employé , mais nous parlerions plus volontiers de vente, car la concession est payante. Des circonstances extérieures aident à comprendre cet abandon. Le seigneur Pons de Douchans est maitre de très vastes domaines entre le cours de l’Allier et la Margeride, mais il n’a pas le vent en poupe. Sa famille a subi le contrecoup de la conquête royale de l’Auvergne, de la croisade des Albigeois en Languedoc, des rivalités entre les grandes familles locales. Il a été forcé de se faire le vassal des sires de Mercœur, des sires d’Apchier, et de reconnaitre aussi la suzeraineté de l’évêque de Mende. Sa situation financière sans doute n’est pas très brillante non plus. Il doit donc vendre. L’hôpital du Puy étend alors son domaine de l’Hospitalet/Ribagenos, lui assure les terrains nécessaires pour qu’il soit viable d’un point de vue agricole, que les vivres ne manquent jamais pour l’accueil des pèlerins. Des dépendances si importantes que le centre de gravité de leur domaine sera désormais au Sauvage. Jusqu’au moment où, le pèlerinage connaissant une interruption, l’Hospitalet proprement dit aura purement et simplement disparu, relayé par une exploitation agricole. Le pèlerinage de St Jacques y attira cependant le voisinage et les gens de l’Hôtel-Dieu pendant des siècles. 

L’Hôtel-Dieu du Puy restera propriétaire du Sauvage pendant 599 ans. 

La grande époque?: fin du moyen Âge et XVIe siècle 

En achetant le Sauvage, l’Hôtel-Dieu du Puy acquiert une seigneurie autonome, avec son ressort de justice, ses dépendants, ses limites et ses conflits. 

Même bien payés, on ne sait pas si les Douchans ont vu de bon cœur leurs possessions ainsi amputées. Leurs successeurs aux XIV et XVe siècle, les seigneurs de Thoras, de la maison de Peyre, eurent des Velléités de revenir sur l’épisode ou, au moins, d’en limiter les conséquences en se faisant reconnaitre un reste d’autorité sur le Sauvage, l’hommage à ce droit de garde que souvent les seigneurs laïcs détenaient sur les possessions d’Église. À plusieurs reprises, ils procédèrent par la manière forte, ameutant leur tenancier et les jetant sur le Sauvage pour y faire les ravages qui constituaient ces petits conflits féodaux. On a gardé des plaintes et des enquêtes faites à cette occasion, document pittoresque, à peu près les seuls qui nous restent du Sauvage pendant cette période. En 1928 le sire de Peyre et de Thoras incendie la chapelle Saint Jacques, détruit les bâtiments et les jardins, peut être coup d’arrêt à l’existence de l’Hospitalet. Il brutalise et menace d’atrocité un sergent royal?; cent paires de Bœufs dévastent les cultures. En définitive, les efforts des sires de Thoras furent vains, et le Sauvage, sous l’hôtel-Dieu du Puy et grâce à la Sauvegarde des agents du roi, parvint à maintenir son indépendance. Il continua à tenir ses assises pour rendre la justice à ses tenanciers, comme en 1501. 

Il fut peut-être moins heureux contre les communautés paysannes voisines, avides de droits de pacage sur les forêts, qui paraissaient avoir au cours des siècles, malgré procédures et répression, à grignoter quelque peu ses limites. 

L’Hôtel Dieu du Puy, institution régulière, pratiquait une gestion soigneuse et paperassière. Il a conservé dans ses archives de très nombreuses séries de documents écrits relatifs au Sauvage, surtout à la fin du moyen âge. De cette façon, nous pouvons connaitre beaucoup de choses sinon tout  de la façon  dont il dirigeait le domaine, ce qu’il en attendait en fait de revenus et de productions, les couts de l’exploitation, les investissements nécessaires. 

Peu de domaines agricoles bénéficient d’une documentation écrite aussi abondante, aussi ancienne, aussi continue. À partir de ce fonds d’archives, complété par quelques autres sources, Madame Merle-Comby a pu éclairer bien des aspects de l’histoire du domaine siècles après siècle. 

Le Sauvage fut pendant des siècles une exploitation de rapport qui fournit à la maison mère des sommes régulières en argent (1300 L en 1791, 2650 francs sous l’empire) et des compléments en nature. 

Jusqu’au XVIe Siècle, l’Hôtel-Dieu était exploitant direct?: il avait loué une part du domaine à différents tenanciers, vendait des droits d’exploitation des forêts, mais cultivait au paissait une importante «?Réserve ?», encore discernable sur les cartes sous les noms de parcelles. À cet effet, il entretenait au Sauvage un personnel assez nombreux. En 1288, ce sont les clercs, des «?Donat ?» (Personnels voués à l’hôpital donc gratuit), des «?gens?», des serviteurs salariés, tous nourris sur place.  Du XIVe siècle au XVIe siècle, ce sera un représentant responsable, parfois dénommé «?Grangier ?» ou «?Régisseur ou encore «?Gouverneur ?» souvent prêtre ou Donat, une dizaine de domestiques recrutés assez largement aux environs tandis que les maîtres de l’Hôtel-Dieu  y font de fréquents séjours. 

Une chambrière «?Honnête femme?», tiens la maison. 

Le domaine était à peu près autosuffisant en période ordinaire?; ne s’achetaient souvent par l’entremise de l’Hôtel-Dieu, que le vin et le poisson des jours maigres, parfois des fruits du pain blanc et de la moutarde. 

À côté des cultures vivrières de base, le Sauvage élevait toutes sortes de bétail, moutons, chevaux, mais principalement des bovins. Le «?nourrissement?» était sa spécialité. Il semble en effet que l’Hôtel-Dieu attendait de ce domaine principalement des livraisons de viande de bœuf et se fournissait de viande de mouton dans ses autres domaines sis en Velay. Cette spécialisation tenait aux exigences spécifiques de l’établissement propriétaire autant qu’aux invitations du terroir. Le Sauvage possédait ou accueillait dès le XIVe siècle des «?manas?», troupeau de bovidés surveillés à partir de «?cabanes?» ou de «?traps?», habitations temporaires des bouviers pour les estives?: mais les pâturages d’été sont aussi offert en location aux troupeaux étrangers, contre de l’argent et du fromage. Ce qui dispense d’entretenir trop de bêtes l’hiver. Il en venait depuis le Vivarais, qui n’est pas très proche?: Le Sauvage était donc inséré dans les grands courants d’échange liés aux pacages des bêtes, et dès le tout début du XIVe siècle. On sait que ces élevages pour la viande prendront une grande extension à partir du milieu du XIVe Siècle, quand pour survivre face à la dégradation climatique, les domaines des montagnes se spécialiseront encore davantage dans la production à destination des agglomérations urbaines lointaines, surtout celle de la Vallée du Rhône. 

La documentation ne nous a rien conservés de tel pour le Sauvage, mais il faut imaginer une évolution de ce type à cette époque. En tout cas au XVIe Siècle la vente du cuir faisait partie des revenus, du bétail était mené aux foires des environs et on fabriquait du fromage. Les effectifs du cheptel sont en partie connus depuis le XIVe siècle?; il s’agit de plusieurs dizaines, voire centaines de bêtes à cornes, chiffre important pour une époque où le maintien des troupeaux en hiver n’était pas encore possible?; mais la fenaison, pour laquelle on recrute des travailleurs extérieurs «?à la journée?», hommes et femmes, prends de plus en plus d’importance dans les comptes et permets peu à peu d’augmenter le nombre de bêtes gardées l’hiver. Enfin, un petit troupeau d’une dizaine de porcs est attesté au début du XVIe siècle, avec son porcher qui en menait pour la vente à la foire au Puy. 

Au début du XVIe siècle, une tentative pour étendre les cultures céréalières en défrichant paraît s’être soldée par un échec. 

Les bâtiments (le «?Mazat?» ou «?Mas?») sont connus par des allusions aux dépenses d’entretien, à partir du début du XVIe siècle (tous ont été remplacés depuis cette date). Une muraille d’enceinte fermée par deux portails à deux battants complétant les bâtiments fermait une bassecour spacieuse, dans laquelle coulait un ruisseau. Elle comportait une loge à pourceaux couverte de paille. Un jardin était attenant, hors l’enceinte accessible par une porte?; on y plantait oignons, poireaux et choux dont les plants étaient achetés à Saugues. Les logis étaient soigneusement entretenus pour permettre l’habitation régulière de la grande maisonnée, ainsi que des étables ou écuries pour le bétail et des granges pour stocker le foin?: une habitation à étage et une grange sont construites avant 1523, une étable neuve terminée par un fenier  bâti en 1527 et couvert «?à tuile?», c’est-à-dire à lauze, car la «?Métairie ?» «?Est située dans un pays de montagne?». On y bat les céréales preuve qu’une certaine production dans ce domaine persistait. Cette écurie-grange communiquait directement avec la cuisine du logement, selon une disposition propre à la montagne, souvent attestée dans l’exploitation paysanne ordinaire plus récente?; on avait ménagé dans la grange un four intérieur en plus de celui existant dans la cuisine, disposition adaptée au climat, mais dangereuse pour les foins. 

Le gérant et les serviteurs habitaient la maison, qui comportait un escalier en vis, terminé par une «?vissette?» de pierre de taille, une cuisine et deux chambres chauffées. On a conservé pour le XVIe siècle des inventaires du mobilier et des équipements de cuisine. Le rez-de-chaussée était vouté?; les boyers et vachers dormaient probablement avec leurs bêtes. On note encore une «?chambre d’arme?», peut être identique à la cuisine. Le domaine comportait aussi un moulin sur la rive droite de la Virlange, à quelque distance des bâtiments principaux. 

L’affermage (XVIIe-XVIIIe siècle) 

Après le XVIe siècle, l’Hôtel-Dieu renonça à la gestion directe. L’établissement, après les guerres de religion, avait des difficultés de gestion et de personnels. Il confia le domaine à des fermiers, moyennant un revenu fixe en monnaie, et se désintéressa du détail de l’exploitation, sauf à envoyer régulièrement des experts en inspection. Dans ces conditions le XVIIe siècle fut une période difficile à tous égards. Les comptes des fermiers n’ont pas été transmis, mais tout est tenu à l’économie et la vie autonome d’une grande communauté n’existe plus. Plus de pourceaux. Les bâtiments menacent ruine et ne sont réparés que difficilement?: l’habitation ne sert plus, seuls les bâtiments d’exploitation retiennent l’attention des fermiers, encore ne sont-ils pas assez sûrs pour protéger le bétail des loups. Ces fermiers se recrutent parmi les ?«?Grands capitalistes?» des environs, seuls capables des mises de fonds nécessaires, par exemple des membres de la famille des Langlade du Chayla, célèbres par leurs prétentions et leur violence ?: ce sont des seigneurs locaux en dépit de la règle royale qui interdit en principe aux nobles de prendre des domaines à ferme, sous peine de déchoir de leur noblesse?; mais ces fermiers sont des partenaires incommodes, âpres au gain, difficile à contraindre. Les Langlade ne renoncèrent à la «?Ferme ?» qu’en 1711. 

L’Hôtel-Dieu reprit les choses en mains, traita avec les fermiers moins huppés et (un peu) moins coriaces, et d’abord fit reconstruire et meubler l’habitation, en supprimant l’escalier à vis pour un simple escalier intérieur de pierre. Ce bâtiment, probablement différent de celui existant aujourd’hui, néanmoins bien connu dans les textes, gardait «?la chambre de réserve de messieurs les administrateurs?» que ceux-ci  occupaient lors de leurs passages. Les portails (couverts d’arc en pierre depuis 1643) sont refaits. Le four à pain est rebâti à l’extérieur de la grange couvert de lauzes. Les granges et écuries sont augmentées. On juge qu’il manque une étable à ovins, qu’on fait construire en 1772, une autre écurie est réalisée après 1785. On fait paver la bassecour à petits cailloux. Un nouveau moulin est établi sur un site plus commode, plus proche, à la sortie des bâtiments. 

En même temps la régularité revient dans la gestion, même si le système des fermiers en cache bien des aspects. L’Hôtel-Dieu pousse à la mise en culture, qui lui rapporte des droits de quart, puis change de politique et revient aux pâturages, bataille pour sauvegarder ses droits féodaux, s’efforce de faire rentrer régulièrement les fermages, vends les bois et tâche de préserver les plantations des dégradations constantes du voisinage, en embauchant un garde bois, aussi chargé de la chasse. Des troupeaux, on ne sait presque rien?: c’est l’affaire personnelle du fermier. Néanmoins, l’Hôtel-Dieu  en retire encore en 1790, cent kilos annuels de fromage et50 de beurre. 

La bête du Gévaudan, qui fit des ravages au voisinage, épargna le Sauvage. Les calamités naturelles furent moins discrètes et les faits divers relatifs aux méfaits des hommes ne manquent pas. 

Après la révolution, l’Hôtel-Dieu devenu Hospice du Puy, de plus en plus établissement médical, de moins en moins intéressé par une dépendance lointaine, malcommode à gérer prit en 1816 le parti de vendre. La famille Saint Léger devient propriétaire?; avec ces descendants les Chirac, elle en garda la possession pendant 154 ans pendant lesquels les archives de l’hôtel-Dieu n’apportent plus rien?; mais d’autres ressources documentaires permettent de suivre son évolution, importante pour comprendre les bâtiments et paysages actuels. Cette histoire sera rapportée dans un autre document.  

Depuis une quarantaine d’années, le Sauvage a été acquis par le Conseil Général de Haute-Loire. Mais ça, c’est une autre histoire.

Histoires et légendes

Chanaleilles au Sud-ouest du département de la Haute-Loire à15 kg de Saugues et 60 Km du Puy en Velay, altitude 1260 m. Point culminant 1490m. Population 228 habitants.

Chanaleilles est un lieu très ancien une Charte de délimitation des diocèses du Gévaudan et du Velay signée par Aldefroy de Chanaleilles en 811 le prouve.

Le nom de Chanaleilles a-t-il été donné par la célèbre famille dont elle fut le berceau ? L’orthographe reste longtemps incertaine : Canaleis, Cana Neleis, Chananeilles et Chanaleilles.

D’après la généalogie de cette famille elle déscendrait des anciens rois de Grèce. On rapporte que Codrus, dernier roi de Grèce avait un fils Nélée qui avait institué des fêtes en l’honneur de Diane qu’il surnomma par rapport à son nom Nélés. Plus tard les romains l’appelleront Canaleis (Blanche Diane). A la mort de Codrus, les athéniens supprimèrent la royauté et instituèrent la république. Nélée fut banni de son pays et vins se réfugier en Germanie. Où sa postérité se perpétua parmi les francs, qui en souvenir de se prince de la blanche Diane sa patronne, adoptèrent pour armoirie trois lévriers, attributs de cette déesse chasseresse. On peut voir se blason à gauche du portail de l’église de chanaleilles sous la couronne du marquisat.

 

Le Blason de la famille de Chanaleilles : « D’or, à trois lévriers sable, colletés d’argent, courant l’un sur l’autre »

La devise : « Fideliter et alacriter »

 

Quoiqu’il en soit du fondement de cette prétendue descendance royal, la famille de Chanaleilles est une des plus anciennes de France et descend des Francs. Un seigneur de Chanaleilles accompagna à Naples Lothaire fils de Louis 1er dit le débonnaire, et périt ensuite à la bataille Fontenay en 841. Après les troubles de l’an mil durement ressentis, Dame Yvonne et son époux Arnault 1er sire de Chanaleilles reconstruisent leur manoir et l’église du Village brulée par les pillards. L’acte de fondation et de consécration  est dressé par Druon, prêtre de Mende le 3 des calendes de mai en l’an 1006, en présence de Robert de Salgues et Guy de Monistrol.

Est-ce l’église actuelle ? Au court des siècles elle a subi des transformations mais des indices font pencher dans ce sens. D’abord, c’est une église romane, édifice de cette époque, et les spécialistes s’accordent pour dater les pierres bien appareillées du cœur du XIe ou XIIe siècle.

A la première croisade, Guillaume de Chanaleilles, son frère Robert et son beau-frère Eustache D’Agrain, dont il avait épousé la sœur accompagnent en terre sainte Adhémard de Monteil évêque du Puy, légat du pape sous les ordres de Raymond de St Gilles conte de Toulouse. Guillaume et Robert ainsi qu’Adhémard de Monteil mourront d’épidémie en Palestine en 1098. Eustache d’Agrain deviendra prince de Sidon et Césarée, vice-roi et connétable du royaume de Jérusalem et méritera la glorieuse dénomination de « d’épée et bouclier de Palestine ». Guillaume de Chanaleilles 2ème du nom chevalier du Temple en 1153 participa sans doute à la deuxième croisade en 1148.

Chanaleilles est un lieu de passage, de nombreux pèlerins y font étape avant de franchir le col quelques kilomètres plus loin. Une légende assure qu’un voyageur illustre trouva la mort suite aux intempéries au franchissement de ce col, qui porta le nom de col de « l’homme mort ». A la suite de cet accident, Heyle de Chanaleilles et Hugues de Thoras font bâtir en 1198 une chapelle et un hôpital pour servir de refuge aux pèlerins. Par la suite l’hospitalet sera géré par l’hôtel Dieu du Puy de l’ordre de St Jean de Jérusalem. Ils le garderont j’jusqu’en 1714.

En 1270 Bernard de Chanaleilles, partit à son tour pour la terre sainte lors de la huitième croisade et accompagna le roi de France à Tunis. A une certaine époque, la famille de Chanaleilles semble avoir déserté le pays. Raymond de Chanaleilles en 1270 est qualifié de seigneur de La Valette en Vivarais, sans doute se mariant dans cette région. Robert de Chanaleilles, chevalier du Temple 1293 sera cité comme témoin au procès des Templiers.  Les Apchiers nouveaux seigneurs de Chanaleilles délaissèrent le manoir féodal. Celui-ci entièrement détruit de nos jours, existait en 1360, à l’époque où les routiers ravageaient le Gévaudan.

L’Abbé Fabre écrit « au sud-ouest de Chanaleilles  sur le terroir de La Chazette, sur un monticule qui porte le nom de Ronc du Chastel, s’élevait jadis le manoir des sires de Chanaleilles ». En effet, éparpillé tout autour un grand nombre de blocs de granit fort bien taillé.

Pourquoi les Chanaleilles  ont-ils disparus du pays ? La branche s’est-elle éteinte ? Ont-ils vendu leur fief aux Apchiers ? Les historiens ont encore du pain sur la Planche.

Dans le Vivarais, les De Chanaleilles vont prospérer et s’allier a de puissantes familles. Les Apchiers, nouveaux seigneurs, possèdent déjà le Villeret en 1179 où un château est attesté en 1274. A cette date, les Apchiers s’accordent à son sujet avec leur suzerain, les Mercœur et leur rendent hommage. Le domaine échoit au XVIIe siècle aux Apchiers du Chayla. Françoise d’Apchier le transmet en 1643 à son mari Balthazar de Langlade. Il y avait aussi une chapelle encore desservie au siècle suivant, puisqu’en 1730 la Dame de Beauquemare du Chayla y nomma un chapelain. A la révolution, les Rochenegly, héritiers des précédents n’y possèdent plus que l’emplacement d’une ancienne maison et le chazal d’une Chapelle. Dans cette chapelle, il y avait une Vierge en bois du XIIe ou XIVe siècle. Elle fut cachée pendant la tourmente révolutionnaire dans une famille du Villeret. Ensuite elle trôna dans la maison d’assemblée du village (maison de la béate) où les habitants venaient prier devant la statue. Depuis 1957, elle se cache derrière une grille du Cœur de l’église de Chanaleilles où l’on peut l’admirer.

 Un juste parmi les nations

Dans la petite église, une plaque commémorative rend hommage à un enfant du pays le père Auguste Mayrand (1894-1979). Supérieur de plusieurs collèges dominicains, il a caché (nottament dans des familles de la commune de Chanaleilles) et sauvé de la mort, au péril de sa vie, de nombreux enfants juifs durant la deuxième guerre mondiale. Le 19 décembre 1992, il a reçu pour son action, à titre posthume, la médaille des justes de yad-vashem, la plus haute distinction juive.

 Les marquis de Chanaleilles

Au milieu du XIXe siècle, un personnage fabuleux Sosthène de Chanaleilles , Marquis de Chanaleilles de Montpezat, de Chambonas, Baron des Eperviers, ancien Page du Roi Louis XVIII, lieutenant-colonel du 4ème régiment de Chasseur d’Afrique, officier de la légion d’honneur, ancien membre du conseil général de l’Ardèche, désireux de revenir au point de départ de ses lointains ancêtres fit l’acquisition de la terre de la chazette et y fit bâtir une habitation dans un site sauvage à 1200 m d’altitude. Il avait épousé à Paris le 29 mai 1832 Marie Victorienne Stéphanie des Balbes de Berton de Crillon, fille du duc de Crillon paire de France. De ce mariage sont né, Félix Helye de Chanaleilles décédé le 15 mai 1853 à l’âge de 18 ans et Marie Isabelle de Chanaleilles mariée le 12 juin 1856 au marquis de Marcieux. Il mourut à Paris dans son hôtel particulier en 1897. On peut encore voire dans le 7ème arrondissement de Paris une rue portant son nom ainsi que soin ancienne demeure avec l’inscription Hôtel de Chanaleilles.

La Chazette ne fut pas la seule acquisition du marquis, il racheta le château de Ventadour et y entrepris des travaux, mais l’ampleur de la tâche sembla le décourager. Ce château restera dans la famille jusqu’en 1968.

Sosthène bienfaiteur de la commune de Chanaleilles, fera don de quatre cloches à l’église. C’est sur sa demande que les Sœurs Dominicaines ouvriront une école en 1898. Son testament accordait un legs important au couvent et à l’église.

Après sa mort, la chazette revint à son cousin Paul Aimé René de Chanaleilles, né en janvier 1853 marquis de la Saumès. Marié à Mlle Jeanne Germont, de cette alliance naquit un fils Sosthène de Chanaleilles. Il fut caporal au 113ème régiment d’infanterie. Tombé au Champ d’honneur à Virton (Belgique) le 25 aout 1914.

A partir de là, la Chazette était desertée, et à la mort du marquis elle fut vendue c’était en 1940.

 La Montagne de Chanaleilles

Des vestiges énigmatiques, laissent supposer que le haut pays de Chanaleilles fut jadis très peuplé.

Si vous montez au Ranc du Chastel, vous trouverez sur de très gros rochers formant plate-forme, des cupules parfaitement dessinés, des sièges taillés dans la pierre. La plate-forme est barrée par un mur de grosses pierres fort bien taillées. Ce Ranc de Chastel, un haut lieu, une ancienne forteresse ?  Il faudrait pratiquer des fouilles pour trouver la solution. La pierre branlante, qui se trouvait dans les environs, dont tout le monde parle, mais que je n’ai jamais pu localiser, doit remonter à l’époque celtique.

Au truc de Montricou, situé à l’ouest, se trouveraient cupules, sièges creusés dans le roc et même une tête de taureau en relief.

 

 Vue de la Chazette Depuis Montricou

 

Au-dessus de la chapelle Saint Roch, au lieu-dit Salabert, se trouvent les vestiges d’un ancien village d’une quarantaine de structure. Ces habitations qui remontent sans doute à la nuit des temps, auraient été abandonnées au XIVe siècle. Un autre hameau situé au Chaza de Balo (le « noir ») aurait eu une occupation identique.

 Dix mois d’hivers, deux mois d’enfer…

En pensant à nos ancêtres, je ne peux m’empêcher d’éprouver une certaine tendresse. A une époque et dans un environnement hostile, ils ont réussi le tour de force de survivre. Ils ne savaient ni lire ni écrire, mais ils ont su faire preuve d’une faculté d’adaptation remarquable.

Le paysan doit la dîme à l’église et il est corvéable et taillable à merci par le seigneur du lieu. Pour se réchauffer ils habitent avec les animaux, la respiration des uns réconfortant les autres. Leurs maisons sont enterrées pour offrir moins de prise aux vents glacials du nord et nord-ouest. Les murs de pierre liés à la terre glaise, le toit en chaume. Ils filaient la laine de leur mouton, pour fabriquer une étoffe appelée « la bure » dont ils s’habillaient. Ils cultivaient aussi le chanvre, certaines parcelles portent encore le nom de « l’hort de la tchirbe » ; avec ces fibres, ils fabriquaient une toile rêche dans laquelle ils taillaient draps et chemises. Pour se chausser, des sabots, pas de chaussettes, mais un peu de paille, par-dessus des guêtres taillées dans la bure. Ils devaient produire et conserver leur semence d’une année sur l’autre, les rendements devaient être ridicules à côté de ceux d’aujourd’hui. Que de disettes et d’épreuves ont-ils dû affronter, à commencer celle de la guerre de cent ans !  Les anciens villages de Salabert et du Chazat de Balo ont sans doute été abandonné à cette époque.

 Après le traité de Brétigny (1360) les troupes mercenaires de France et d’Angleterres licenciées par les belligérants, au lieu de se retirer, firent la guerre pour leur propre compte, pillant, tuant, violant, rançonnant. Ces aventuriers que l’Histoire appelle les « routiers » étaient alors désignés sous le nom « d’Anglais ». Les habitants des campagnes exposés à la merci des envahisseurs vinrent se réfugier au sein des villes ou s’agglomèrent autour des châteaux-forts, le Villeret, Chanaleilles.

Les incursions des routier qui pendant près de 20 ans terrorisèrent le Gévaudan eurent pour conséquence une dépopulation effrayante. Le peu que l’on cultivait était souvent surpris et ravagé par l’ennemi au moment où l’on s’y attendait le moins. Une tradition locale raconte qu’en ces jours de misère, les habitants réduits à la dernière nécessité,  faisaient servir à leur nourriture une sorte de tubercule appelée dans le patois du pays « lou gnisso » qui croit abondamment dans les champs pierreux. Cette plante, le « bunium bulgocastanum » de la famille des ombellifères se multiplie facilement dans les terres en friche.

 Du XVIe au XVIIIe siècle, plusieurs crises se succédèrent. En 1693/1694, la disette due à plusieurs mauvaises récoltes, vite suivies d’une épidémie qui décimait les organismes affaiblis par la sous-nutrition. La mortalité fut durement ressentie à Chanaleilles. Alors qu’on comptait en moyenne dix à quinze décès par an, trente-deux personnes meurent en 1693 et autant 1694. Ces chiffres étant inferieurs à la réalité puisqu’ignorant la mortalité infantile (- de 1an). Fuyant famine et maladie, les plus misérables partaient sur les chemins : pitoyable cortège dont beaucoup mourraient en route.

Une autre épreuve pour la population : La bête du Gévaudan qui pendant 3 ans de 1764 à 1767 terrifia nos campagne. Dans les premiers jours de janvier1765, elle surprit au Falzet (paroisse de Chanaleilles) un enfant de 14 ans, près d’un petit bois à 50 pas de sa maison. Elle lui coupa la tête et emporta le corps à 150 pas…  Le 12janvier 1765, sept enfants du Villeret qui gardaient leur bétail dans un lieu appelé « las Coutasseyres » furent attaqués par la bête. Les cinq garçons se nommaient : Jacques André Portefaix, Jacques Couston, Jean Pic (âgés de 12 ans), Joseph Panafieu, et Jean Veyrier (8 ans), les deux filles : Madeleine Chausse, Jeannine Gueffier (9 ans). Ils se défendirent vigoureusement et mirent en fuite ce loup féroce, excité par Portefaix, qui armé d’un couteau attaché à la pointe d’un bâton, montra un courage et un sang-froid au-dessus de son âge et parvint à arracher à la bête celui des jeunes enfants qu’elle emportait. Portefaix reçut, ainsi que ses compagnons, diverses gratifications. Elevé au frais de l’état, il entra dans le corps du génie et mourut lieutenant du corps d’artillerie pour les colonies à Douai en 1785.